Le Conseil d’État a jugé qu’une demande de pièces complémentaires non exigées par le Code de l’urbanisme ne suspend pas le délai d’instruction et peut ainsi faire naitre une autorisation d’urbanisme tacite.

Il n’est pas rare qu’un dossier de demande d’autorisation d’urbanisme (permis de construire, déclaration préalable, permis d’aménager ou encore permis de démolir) soit incomplet au moment de son dépôt et que l’administration soit contrainte de solliciter du pétitionnaire la transmission de pièces complémentaires.

A ce titre, l’article R.423-19 du Code de l’urbanisme précise que le délai d’instruction court à compter de la réception en mairie d’un dossier complet. Par conséquent, un dossier incomplet ne fait pas courir le délai d’instruction.

Une fois que l’autorité administrative constate que le dossier est incomplet, elle adresse dans le délai d’un mois à compter de la réception du dossier, un courrier mentionnant la liste des pièces manquantes au sens de l’article R.423-39 du Code de l’urbanisme au pétitionnaire.

Ce courrier doit préciser que :

  • Les pièces manquantes doivent être adressées à la mairie dans le délai de trois mois à compter de sa réception ;
  • Qu’à défaut de production de l’ensemble des pièces manquantes dans ce délai, la demande fera l’objet d’une décision tacite de rejet en cas de demande de permis ou d’une décision tacite d’opposition en cas de déclaration ;
  • Que le délai d’instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes.

Or, la liste des pièces pouvant être sollicitées par l’autorité administrative est limitativement énumérées par le Code de l’urbanisme.

Mais que se passe-t-il quand une pièce complémentaire ne fait pas partie de cette liste ? Qu’en est-il du délai d’instruction ?

Pendant plusieurs années, le Conseil d’État a considéré que si une demande de pièces complémentaires irrégulière – car ne faisant pas parties de la liste du Code de l’urbanisme – pouvait entacher d’illégalité la décision de refus de la demande, elle ne rendait pas pour autant le pétitionnaire titulaire d’une décision tacite CE, 9 décembre 2015, Commune d’Asnière-sur-Nouère, req. n°390273, mentionné aux Tables

Toutefois, très récemment, le Conseil d’État a opéré un revirement de jurisprudence dans une décision en date du 9 décembre 2022.

En l’espèce, une société a déposé une déclaration préalable afin de construire une station de radiotéléphonie sur le territoire de la Commune de Saint-Herblain.

A la suite de ce dépôt, l’administration a sollicité de la société pétitionnaire, dans un délai d’un mois, la production d’une pièce complémentaire non prévue par le Code de l’urbanisme.

La société a bien produit ladite pièce dans le délai de trois mois. Toutefois, le Maire de la Commune s’est opposé à la déclaration préalable sur le fondement de l’article R.111-27 du Code de l’urbanisme.

La société pétitionnaire a alors sollicité la suspension de la décision d’opposition en considérant que la demande de pièce complémentaire n’avait pas eu pour effet de prolonger le délai d’instruction et que par suite, elle était donc titulaire d’une décision de non-opposition implicite.

Le juge des référés a suivi ce raisonnement. La Commune a alors introduit un pourvoi en cassation.

De manière surprenante, le Conseil d’État a jugé que :

« 5. Il résulte de ces dispositions qu’à l’expiration du délai d’instruction tel qu’il résulte de l’application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l’urbanisme relatives à l’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. En application de ces dispositions, le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans qu’une telle demande puisse y faire obstacle ».

Autrement dit, le Conseil d’État considère qu’une demande illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée par le Code de l’urbanisme, n’interrompt pas le délai d’instruction du dossier et ne fait pas obstacle à la naissance d’une décision tacite d’acceptation.

Il convient en outre de préciser que cette jurisprudence s’applique également aux permis de construire, d’aménager et de démolir.

Nul doute que cette décision va générer un certain nombre de contentieux…